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Le mythe (du grec μῦθος « parole, discours ; légende, récit non-historique » <ref>Anatole Bailly, ''Le grand Bailly''. Dictionnaire Grec-Français, Paris, Hachette, 2000 (1894).</ref>) est un concept polysémique. Dans son emploi familier, il est généralement synonyme d’affabulation, d’invention, et sert à décrire une chose qui n’existe pas<ref>Robert, P., ''Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française'', Paris, Dictionnaires Le Robert, 2003.</ref>. Dans son emploi plus précis, il désigne un mode de communication impliquant un récit, explicite ou implicite, considéré comme traditionnel et qui forme ou définit la réalité d’un groupe donné. Ce récit n’est pas monolithique ni statique ; pour qu’il demeure porteur de sens pour un groupe, il doit constamment évoluer, se réactualiser et s’adapter aux nouvelles réalités de ce groupe.
Le mythe (du grec μῦθος « parole, discours ; légende, récit non-historique » <ref>Anatole Bailly, ''Le grand Bailly''. Dictionnaire Grec-Français, Paris, Hachette, 2000 (1894).</ref>) est un concept polysémique. Dans son emploi familier, il est généralement synonyme d’affabulation, d’invention, et sert à décrire une chose qui n’existe pas<ref>Paul Robert, ''Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française'', Paris, Dictionnaires Le Robert, 2003.</ref>. Dans son emploi plus précis, il désigne un mode de communication impliquant un récit, explicite ou implicite, considéré comme traditionnel et qui forme ou définit la réalité d’un groupe donné. Ce récit n’est pas monolithique ni statique ; pour qu’il demeure porteur de sens pour un groupe, il doit constamment évoluer, se réactualiser et s’adapter aux nouvelles réalités de ce groupe.




==Les différentes approches au XX<sup>e</sup> siècle==
==Les différentes approches au XX<sup>ième</sup> siècle==




Le mythe a été analysé de plusieurs manières différentes au cours du XXe siècle. Parmi les plus importantes écoles de pensées à s’y être intéressées<ref>Voir aussi Bruce Lincoln (''Theorizing Myth : Narrative, Ideology, and Scholarship'', Chicago, University of Chicago Press, 1999, 144) pour une généalogie complète des théories du mythe depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle jusqu’à la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle.</ref>, on relève entre autre l’école folkloriste et psychanalytique, au sein de laquelle on retrouve des penseurs comme Carl Gustav Jung, Mircea Eliade et Joseph Campbell. Selon cette perspective, tout mythe est essentiellement « une  histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial »<ref>Mircea Eliade, ''Aspects du mythe'', Paris, Gallimard, 1963, 31.</ref>. Ce « temps primordial », qui est bien sûr [[imaginaire]], sert de canevas sur lequel l’inconscient peut projeter ses dynamiques internes (angoisses, besoins, etc.) d’une part, et d’autre part de matrice où situer la fondation des [[institution]]s propres à un groupe donné ; dans tous les cas, le mythe ramène « une réalité encore mystérieuse à une expérience singulière, laquelle rend compte d’un état de choses existant dans le cosmos ou de relations établies dans la société humaine »<ref>Michel Meslin, ''Pour une science des religions'', ch. 2 (« Des mythes »), Paris, Éditions du Seuil, 1973,227.</ref>.
Le mythe a été analysé de plusieurs manières différentes au cours du XX<sup>ième</sup> siècle. Parmi les plus importantes écoles de pensées à s’y être intéressées<ref>Voir aussi Bruce Lincoln (''Theorizing Myth : Narrative, Ideology, and Scholarship'', Chicago, University of Chicago Press, 1999, 144) pour une généalogie complète des théories du mythe depuis le XVIII<sup>ième</sup> siècle jusqu’à la seconde moitié du XX<sup>ième</sup> siècle.</ref>, on relève entre autre l’école folkloriste et psychanalytique, au sein de laquelle on retrouve des penseurs comme Carl Gustav Jung, Mircea Eliade et Joseph Campbell. Selon cette perspective, tout mythe est essentiellement « une  histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial »<ref>Mircea Eliade, ''Aspects du mythe'', Paris, Gallimard, 1963, 31.</ref>. Ce « temps primordial », qui est bien sûr [[imaginaire]], sert de canevas sur lequel l’inconscient peut projeter ses dynamiques internes (angoisses, besoins, etc.) d’une part, et d’autre part de matrice où situer la fondation des [[institution]]s propres à un groupe donné ; dans tous les cas, le mythe ramène « une réalité encore mystérieuse à une expérience singulière, laquelle rend compte d’un état de choses existant dans le cosmos ou de relations établies dans la société humaine »<ref>Michel Meslin, ''Pour une science des religions'', ch. 2 (« Des mythes »), Paris, Éditions du Seuil, 1973,227.</ref>.
Cette thèse fut radicalement contestée par Roland Barthes, chez qui le mythe est désacralisé et défini non pas par son contenu (ex. : récit de création primordial), comme chez Jung, Eliade et Campbell, mais par le cadre narratif qu’il emploie. Pour Barthes, « le mythe est un système de communication, c’est un message »<ref>''Mythologies'', 2<sup>e</sup> éd., Paris, Éditions du Seuil, 1970, 193.</ref>. Il se distingue des autres systèmes de signification par son usage particulier de la relation [[Symbole|signifiant-signifié]], notamment en utilisant le signifié d’un mode de représentation donné comme signifiant pour ses propres fins. À ce titre, le mythe peut être considéré comme un méta-langage.
Cette thèse fut radicalement contestée par Roland Barthes, chez qui le mythe est désacralisé et défini non pas par son contenu (ex. : récit de création primordial), comme chez Jung, Eliade et Campbell, mais par le cadre narratif qu’il emploie. Pour Barthes, « le mythe est un système de communication, c’est un message »<ref>''Mythologies'', 2<sup>ième</sup> éd., Paris, Éditions du Seuil, 1970, 193.</ref>. Il se distingue des autres systèmes de signification par son usage particulier de la relation [[Symbole|signifiant-signifié]], notamment en utilisant le signifié d’un mode de représentation donné comme signifiant pour ses propres fins. À ce titre, le mythe peut être considéré comme un méta-langage.
Plus récemment, Richard Dawkins a mis de l’avant sa théorie des mèmes, selon laquelle l’information se répliquerait et se propagerait de manières analogues à celles des gènes<ref>Richard Dawkins, ''The Selfish Gene'', Oxford/New York, Oxford UP, 2006, 189-201.</ref>. Dans cette perspective, le mythe serait donc un récit d’ordre symbolique dont le contenu répond aux préoccupations du groupe où il évolue et dont la forme permet une dissémination optimale.
Plus récemment, Richard Dawkins a mis de l’avant sa théorie des mèmes, selon laquelle l’information se répliquerait et se propagerait de manières analogues à celles des gènes<ref>Richard Dawkins, ''The Selfish Gene'', Oxford/New York, Oxford UP, 2006, 189-201.</ref>. Dans cette perspective, le mythe serait donc un récit d’ordre symbolique dont le contenu répond aux préoccupations du groupe où il évolue et dont la forme permet une dissémination optimale.


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==Notes et citations==
==Notes et références==




<references />
<references />
==Oeuvres citées==
Bailly, Anatole, ''Le grand Bailly. Dictionnaire Grec-Français'', Paris, Hachette, 2000 (1894).
Barthes, Roland, ''Mythologies'', 2<sup>e</sup> éd., Paris, Éditions du Seuil, 1970.
Dawkins, Richard, ''The Selfish Gene'', Oxford/New York, Oxford UP, 2006.
Éliade, Mircea, ''Aspects du mythe'', Paris, Gallimard, 1963.
Lincoln, Bruce, ''Discourse and the Construction of Society : Comparative Studies of Myth, Ritual, and Classification'', New York/Oxford, Oxford UP, 1989.
---, ''Theorizing Myth : Narrative, Ideology, and Scholarship'', Chicago, University of Chicago Press, 1999.
Maffesoli, Michel, « Mythe, quotidien et épistémologie », ''Le mythe et le mythique : Colloque de Cerisy'', G. Durand éd., Paris, Albin Michel, 1987, 91-101.
Meslin, Michel, ''Pour une science des religions'', ch. 2 (« Des mythes »), Paris, Éditions du Seuil, 1973, 222-251.
Rivière, Claude, ''Socio-anthropologie des religions'', ch. 2 (« La croyance en des mythes »), Paris, Armand Collin, 1997, 53-68.
Robert, Paul, ''Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française'', Paris, Dictionnaires Le Robert, 2003.




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Campbell, Joseph, ''The Mythic Image'', Princeton, Princeton UP, 1974.
* Campbell, Joseph, ''The Mythic Image'', Princeton, Princeton UP, 1974.


Girard, René, « What is a myth? », ''The Myth and Ritual Theory'', R. A. Segal éd., Malden/Oxford, Blackwell, 1998, 285-303.
* Girard, René, « What is a myth? », ''The Myth and Ritual Theory'', R. A. Segal éd., Malden/Oxford, Blackwell, 1998, 285-303.


[https://www.youtube.com/watch?v=iQ9HXKk4ztw&playnext=1&list=PLA60610DFBE53751C&feature=results_main Joseph Campbell — Mythology (playlist)], consulté le 19 mars 2014.
* [https://www.youtube.com/watch?v=iQ9HXKk4ztw&playnext=1&list=PLA60610DFBE53751C&feature=results_main Joseph Campbell — Mythology (playlist)], consulté le 19 mars 2014.


Perrot, Marie-Dominique, Gilbert Rist et Fabrizio Sabelli, ''La mythologie programmée. L’économie des croyances dans la société moderne'', Paris, PUF, 1992.
* Perrot, Marie-Dominique, Gilbert Rist et Fabrizio Sabelli, ''La mythologie programmée. L’économie des croyances dans la société moderne'', Paris, PUF, 1992.


[https://www.youtube.com/watch?v=Hi8XM2b9048 Roland Barthes, Mythologies], consulté le 18 février 2013.
* [https://www.youtube.com/watch?v=Hi8XM2b9048 Roland Barthes, Mythologies], consulté le 18 février 2013.

Dernière version du 12 avril 2014 à 18:55

Le mythe (du grec μῦθος « parole, discours ; légende, récit non-historique » [1]) est un concept polysémique. Dans son emploi familier, il est généralement synonyme d’affabulation, d’invention, et sert à décrire une chose qui n’existe pas[2]. Dans son emploi plus précis, il désigne un mode de communication impliquant un récit, explicite ou implicite, considéré comme traditionnel et qui forme ou définit la réalité d’un groupe donné. Ce récit n’est pas monolithique ni statique ; pour qu’il demeure porteur de sens pour un groupe, il doit constamment évoluer, se réactualiser et s’adapter aux nouvelles réalités de ce groupe.


Les différentes approches au XXième siècle

Le mythe a été analysé de plusieurs manières différentes au cours du XXième siècle. Parmi les plus importantes écoles de pensées à s’y être intéressées[3], on relève entre autre l’école folkloriste et psychanalytique, au sein de laquelle on retrouve des penseurs comme Carl Gustav Jung, Mircea Eliade et Joseph Campbell. Selon cette perspective, tout mythe est essentiellement « une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial »[4]. Ce « temps primordial », qui est bien sûr imaginaire, sert de canevas sur lequel l’inconscient peut projeter ses dynamiques internes (angoisses, besoins, etc.) d’une part, et d’autre part de matrice où situer la fondation des institutions propres à un groupe donné ; dans tous les cas, le mythe ramène « une réalité encore mystérieuse à une expérience singulière, laquelle rend compte d’un état de choses existant dans le cosmos ou de relations établies dans la société humaine »[5]. Cette thèse fut radicalement contestée par Roland Barthes, chez qui le mythe est désacralisé et défini non pas par son contenu (ex. : récit de création primordial), comme chez Jung, Eliade et Campbell, mais par le cadre narratif qu’il emploie. Pour Barthes, « le mythe est un système de communication, c’est un message »[6]. Il se distingue des autres systèmes de signification par son usage particulier de la relation signifiant-signifié, notamment en utilisant le signifié d’un mode de représentation donné comme signifiant pour ses propres fins. À ce titre, le mythe peut être considéré comme un méta-langage. Plus récemment, Richard Dawkins a mis de l’avant sa théorie des mèmes, selon laquelle l’information se répliquerait et se propagerait de manières analogues à celles des gènes[7]. Dans cette perspective, le mythe serait donc un récit d’ordre symbolique dont le contenu répond aux préoccupations du groupe où il évolue et dont la forme permet une dissémination optimale.


Les caractéristiques fondamentales du mythe

On peut regrouper les spécificités propres au mythe présentées par Claude Rivière[8] en cinq caractéristiques principales :

Le récit symbolico-métaphorique imagé

Le mythe use d’images et de symboles, sans en expliciter le sens. Son interprétation est ouverte et appelée à changer en fonction de l’environnement social et culturel du groupe où il évolue.

Le hors-temps

Le mythe transcende l’histoire. Même quand on le situe dans un contexte historique, le message qu’il cherche à transmettre demeure atemporel ; dans un tel cas, le contexte historique devient l’avatar dans lequel le mythe en vient à s’incarner.

Le registre de l’affect

Le mythe se distingue d’autres modes de communication (légende, fable, histoire) par la dynamique qu’il établit avec l’affect d’un groupe ou d’un individu[9].

L’orientation vers l’action

Plus qu’un simple récit, le mythe est moteur d’action ; un groupe ou un individu modifie son interaction avec l’environnement en fonction de son interprétation du mythe. Comme le note Michel Maffesoli, « c’est sa dimension mythique qui rend une idée dynamique, qui lui permet d’exalter les enthousiasmes et qui engendre des projets et des réalisations »[10].

La rationalité de l’imaginaire

S’il n’obéit pas à une logique rationnelle à prime abord, le mythe reflète néanmoins le contexte social, voire éthique, de son environnement.


Les fonctions du mythe

Le mythe peut jouer trois principaux rôles, lesquelles ne sont pas mutuellement exclusifs :

Fonction identitaire

Le mythe a souvent pour fonction de définir ou redéfinir les limites identitaires d’un groupe, que ce soit en présentant le récit de sa fondation, en déterminant ses limites ou encore en régulant les interactions intra- et inter-groupes. En tant que vérité axiomatique, le mythe constitue ainsi une base stable sur laquelle bâtir la cohésion d’une communauté ou d’une institution.

Fonction cohésive

Puisque le mythe est porteur d’affect, il garantit une certaine « communion émotionnelle » au sein d’un groupe en définissant ses idéaux et ses valeurs. Ces dernières sont considérées en tant que vérités axiomatiques à l’intérieur du groupe, et minimisent les frictions qui peuvent y émerger.

Fonction informative

Le mythe peut transmettre de l’information, que ce soit en établissant des étiologies ou en fixant dans la mémoire collective d’un groupe des expériences passées.


Notes et références

  1. Anatole Bailly, Le grand Bailly. Dictionnaire Grec-Français, Paris, Hachette, 2000 (1894).
  2. Paul Robert, Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2003.
  3. Voir aussi Bruce Lincoln (Theorizing Myth : Narrative, Ideology, and Scholarship, Chicago, University of Chicago Press, 1999, 144) pour une généalogie complète des théories du mythe depuis le XVIIIième siècle jusqu’à la seconde moitié du XXième siècle.
  4. Mircea Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963, 31.
  5. Michel Meslin, Pour une science des religions, ch. 2 (« Des mythes »), Paris, Éditions du Seuil, 1973,227.
  6. Mythologies, 2ième éd., Paris, Éditions du Seuil, 1970, 193.
  7. Richard Dawkins, The Selfish Gene, Oxford/New York, Oxford UP, 2006, 189-201.
  8. Socio-anthropologie des religions, ch. 2 (« La croyance en des mythes »), Paris, Armand Collin, 1997, 53-56.
  9. Concernant les distinctions entre fable, légende, histoire et mythe, voir Bruce Lincoln, Discourse and the Construction of Society : Comparative Studies of Myth, Ritual, and Classification, New York/Oxford, Oxford UP, 1989, 23-26.
  10. « Mythe, quotidien et épistémologie », Le mythe et le mythique : Colloque de Cerisy, G. Durand éd., Paris, Albin Michel, 1987, 92.


Bibliographie complémentaire

  • Campbell, Joseph, The Mythic Image, Princeton, Princeton UP, 1974.
  • Girard, René, « What is a myth? », The Myth and Ritual Theory, R. A. Segal éd., Malden/Oxford, Blackwell, 1998, 285-303.
  • Perrot, Marie-Dominique, Gilbert Rist et Fabrizio Sabelli, La mythologie programmée. L’économie des croyances dans la société moderne, Paris, PUF, 1992.